L’usine d’alumine, qui déverse des boues rouges depuis 1966, veut obtenir une prolongation de 30 ans en changeant de procédé. Hostile, La Ciotat lance une pétition et espère convaincre les Varois.
Du plomb, du chrome, du mercure, du vanadium, de l'arsenic, du titane, du thorium 232, de l'uranium… Serait-ce la liste des produits du parfait petit chimiste ? Eh bien non, il s'agit plutôt des ingrédients de la bouillabaisse façon Gérard Rivoire.
Une bouillabaisse revisitée par ce chercheur spécialisé sur les coraux et rattaché, avant sa retraite, à la faculté de Marseille Luminy. Un chercheur qui prédit donc un goût bien amer à la recette provençale « pour le cas où le groupe Altéo(1) remettrait le couvert avec ses rejets toxiques » et obtiendrait satisfaction à la table de ses négociations avec l'État.
Car Altéo, qui produit de l'alumine à partir de bauxite sur le site de Gardanne et qui déverse depuis 1966 une boue rouge au large de Cassis, voit son autorisation de rejet arriver à son terme le 31 décembre.
Pour poursuivre son activité, l'industriel demande donc une rallonge de 30 ans en proposant d'installer un troisième filtre, promettant un liquide transparent en lieu et place des boues rouges.
Un liquide nommé bauxaline. « Mais même filtrés à 95 %, on ne veut pas de leurs rejets ! », s'insurge Noël Collura, adjoint au maire de La Ciotat et délégué à l'Environnement.
Après un avis défavorable au renouvellement de cette concession du domaine public maritime émis par son conseil municipal du 7 juillet 2014, la Ville de La Ciotat lance une pétition pour peser sur les conclusions de l'enquête publique ouverte le 17 août.
« Les boues rouges s’étalent sur les fonds de Marseille à Toulon »
(Infographie Rina Uzan - Source collectifs littoral)
Si La Ciotat se jette pour le moment seule à l'eau, la commune des Bouches-du-Rhône ne désespère toutefois pas d'entraîner ses voisines varoises dans son sillage.
« De la même façon que le nuage radioactif de Tchernobyl ne s'est pas arrêté à la frontière ukrainienne, cette pollution touchera le Var et le Languedoc, annonce Noël Collura. Et je crains que l'avenir nous donne raison ».
Le passé plaide en tout cas pour un dépassement des frontières administratives et un large « rayonnement des nuisances » provoquées par les fameuses boues rouges. « On trouve des traces du tombant du Levant jusqu'à Sète », déplore Gérard Carrodano, premier prud'homme des pêcheurs de La Ciotat.
« Brassées par les courants, les boues rouges s'étalent sur les fonds marins de Marseille à Toulon, mais les particules les plus fines tels que les métaux lourds se dispersent beaucoup plus loin en mer et se retrouvent dans la chaîne alimentaire, les poissons, les oursins et le reste du vivant »,explique de son côté le géographe Olivier Dubuquoy dans son rapport intitulé Boues rouges et économie circulaire, histoire d'une désinformation toxique.
« Plus une particule est fine, plus elle est toxique »
« Ils nous ont tout bousillé et ils souhaitent continuer. Ils ont appelé ça bauxaline à la place de bauxite, ça rime avec vaseline, mais ça ne passe pas », tempête Gérard Carrodano.« Il faut tirer un trait sur les boues rouges, désormais on nous parle d'eau douce, explique de son côté Gérard Rivoire. Mais plus une particule est fine, plus elle est toxique », poursuit le chercheur.
À les écouter, ce changement de nom s'inscrirait d'ailleurs dans une stratégie « marketing » orchestrée par le groupe industriel. Une stratégie que dénonçait déjà Olivier Dubuquoy dans nos colonnes en octobre dernier.« L'usine a créé un conseil scientifique qui a produit 200 études pour dire que les boues rouges n'étaient pas dangereuses. Ils ont passé leur temps à minimiser », nous confiait ainsi le géographe en fin d'année.
Alors, forcément, lorsqu'on lui parle de ces études, notre pêcheur s'emporte. « Ce sont les empereurs du mensonge. Ils nous disent qu'ils ont inventé un remède miracle et à les croire, bientôt, c'est grâce à eux s'il y a encore des poissons, s'agace Gérard Carrodano. Plus c'est gros plus ça passe »,conclut le pêcheur. « Eh bien ça ne passera pas ! »promet l'adjoint au maire de La Ciotat, Noël Collura, « on ne signera pas le chèque de 30 années d'exploitation supplémentaires ».
Ce chèque, c'est à présent l'État qui l'a entre ses mains. Après clôture de l'enquête publique le 25 septembre, la décision finale appartiendra enfin au préfet des Bouches-du-Rhône. Mais d'ici là, pêcheurs et Ciotadens espèrent bien peser sur l'issue. Pour que, disent-ils, les générations futures ne payent pas l'addition et que la bouillabaisse conserve ses ingrédients originels.
1. Pour la réalisation de ce reportage, nous n'avons pu entrer en contact avec Altéo.
« L’argument de l’emploi ne tient pas »
Stratégie de défense, aussi cynique que puissante et efficace en cette période de chômage de masse, la menace d’une fermeture du site de Gardanne brandie par Altéo est toutefois largement pondérée par ses opposants.
« Si l’on reste uniquement sur la question de l’emploi, c’est un rapport de 1 à 15, voire de 1 à 20 lorsqu’on confronte Altéo Gardanne et les économies du tourisme et de la pêche, assure le président de l’association environnementale CoLLecT-IF.
Comment dire aux touristes qu’ils ne pourront plus aller se baigner à cause du mercure, du plomb, de la radioactivité, de l’arsenic? demande Alain Matesi.
Si l’économie du tourisme pourrait être touchée, c’est surtout celle de la pêche qui est en première ligne. « On a interrogé les prud’homies de pêche jusqu’à Toulon et plus de 1 000 emplois ont été détruits depuis 1960, relève Gérard Rivoire. Et ils les ont même payés pour brûler les bateaux », conclut le chercheur.
Du côté de la mairie de La Ciotat, on refuse de céder au chantage à l’emploi. « L’amiante a fait de nombreux dégâts ici. Il y avait 5 000 emplois et on voit comment on le paye aujourd’hui ».